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Affaire SNC-Lavalin : le Canada de Trudeau dans la tourmente

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Depuis début février, le gouvernement canadien de Justin Trudeau est secoué par un scandale de corruption et d’influence impliquant une grande entreprise canadienne, SNC-Lavalin, et l’ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, qui a démissionné le 12 février dernier. Le Premier ministre libéral, dont l’entourage proche est accusé d’avoir exercé des pressions inappropriées sur Wilson-Raybould, se trouve dans une position inconfortable, quelques mois avant les élections législatives.

Corruption et pressions ministérielles : l’affaire SNC-Lavalin

Le gouvernement canadien de Justin Trudeau est secoué par un scandale de corruption
Le gouvernement canadien de Justin Trudeau est secoué par un scandale de corruption

Tout commence le 7 février 2019, lorsque le quotidien canadien The Globe and Mail publie un article explosif faisant état de pressions exercées par l’entourage du Premier ministre sur la ministre de la Justice d’alors, Jody Wilson-Raybould, dans le but d’abandonner les poursuites judiciaires à l’encontre de SNC-Lavalin. Cette entreprise québécoise de BTP, employant 50.000 personnes à travers le monde, dont plus de 9.000 personnes au Canada, est en effet accusée d’avoir versé 48 millions de dollars canadiens (i.e. 32 millions d’euros) à des responsables libyens dans les années 2000 afin de remporter plusieurs contrats juteux dans le pays.

Le gouvernement Trudeau avait inscrit dans le droit canadien, en juin 2018, la possibilité d’un accord de réparation, permettant aux autorités judiciaires de suspendre les poursuites pénales contre une entreprise si celle-ci admet les faits et accepte de coopérer avec les autorités – via une mise en conformité et le paiement de pénalités. Un accord de ce type permettrait à SNC-Lavalin de n’avoir qu’une amende à payer, alors que des poursuites pénales pourraient aboutir à l’exclusion de la société de tout contrat public fédéral, menaçant les emplois canadiens de la firme. SNC-Lavalin a donc tout intérêt à voir les poursuites pénales à son encontre abandonnées, et semble l’avoir bien compris : selon le registre canadien des lobbys, Neil Bruce, PDG de SNC-Lavalin, et/ou d’autres dirigeants de la firme auraient rencontré ou appelé l’entourage de Trudeau 59 fois durant les douze derniers mois.

Le gouvernement Trudeau affaibli et divisé par l’affaire SNC-Lavalin

L’affaire s’emballe rapidement. Le 11 février, Justin Trudeau dément les accusations, arguant que sa ministre aurait démissionné si elle avait subi des pressions de son entourage. Dès le lendemain, Jody Wilson-Raybould démissionne du gouvernement, reportant des « menaces voilées ». En effet, en janvier, Wilson-Raybould avait été démise de ses fonctions de ministre de la Justice pour être « rétrogradée » au ministère des Anciens combattants. Gerald Butts, conseiller politique de Trudeau mis en cause par Wilson-Raybould, démissionne quelques jours après. Il est suivi par Michael Wernick, plus haut fonctionnaire canadien et conseiller de Trudeau, également mis en cause par l’ex-ministre. Début mars, c’est Jane Philpott, ministre du Budget, qui claque la porte du gouvernement en exprimant dans sa lettre de démission des doutes sur l’indépendance et l’intégrité du système judiciaire canadien.

Deux enquêtes ont été ouvertes dans la foulée des révélations du Globe and Mail, par le comité de la Justice de la Chambre des Communes – conclue à ce jour – et le commissaire fédéral à l’éthique. Wilson-Raybould, auditionnée fin février à la Chambre des Communes, a confirmé le rapport du Globe and Mail, témoignant de pressions  inappropriées – mais apparemment non illégales – exercées par M. Trudeau et son entourage. L’opposition conservatrice, menée par Andrew Scheer, a depuis demandé la démission de Justin Trudeau lui-même. L’affaire a également suscité l’attention de l’OCDE, dont le groupe de travail sur la corruption a sommé le Canada de respecter ses obligations en matière d’indépendance de la justice. Le gouvernement Trudeau traverse ainsi sa pire crise politique depuis l’élection de l’étoile montante libérale en 2015.

Trudeau bientôt sanctionné par les urnes ?

Il n’existe pas de consensus actuel parmi les juristes canadiens sur la légalité des pressions subies par Mme Wilson-Raybould. En revanche, les implications politiques du scandale SNC-Lavalin pour Trudeau sont considérables. Auto-défini comme « fier féministe » et initiateur d’un gouvernement paritaire en 2015, le Premier ministre voit son image féministe se détériorer dans cette affaire. M. Trudeau est en effet accusé de sacrifier une femme politique d’importance.

Par ailleurs, Jody Wilson-Raybould se trouve être issue de la Première Nation We Wai Kai, et fut la première personne d’origine autochtone à occuper le poste de ministre de la Justice. Cette nomination avait été perçue comme une preuve de l’engagement de Trudeau en faveur de la réconciliation avec les Premières Nations. Son départ du gouvernement Trudeau pourrait entrainer une dégradation des relations entre le gouvernement et les peuples autochtones, déjà altérées par la politique énergetique du gouvernement. En effet, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Belgrade, s’est dit, le 12 février, préoccupé par les zones d’ombre entourant le départ de Wilson-Raybould, une inquiétude partagée selon lui par de nombreuses Premières Nations.

Plus généralement, c’est le message du « Real Change » porté par Trudeau durant sa campagne de 2015 qui est terni par l’affaire. Promettant un gouvernement juste, ouvert et transparent, le Premier ministre succombe à une logique électoraliste à l’approche des élections législatives d’octobre. En interférant en faveur de SNC-Lavalin, l’entourage de Trudeau semble vouloir protéger les emplois menacés par de potentielles poursuites judiciaires. Les 9.000 emplois seraient toutefois loin d’être perdus : les Canadiens travaillant sur des contrats autres que fédéraux garderaient leur poste, tandis que les autres pourraient retrouver un emploi dans les entreprises favorisées par le retrait de SNC-Lavalin. C’est décidément la protection de la réputation de la firme et le sentiment de fierté québécoise qui lui est associé qui auront décidé Trudeau à interférer. La majorité libérale, bousculée en Alberta, ne peut en effet se permettre de perdre la province-clé du Québec. A rebours de ses engagements de campagne, Trudeau se plie aux règles du jeu électoral – mais est encore loin d’avoir gagné la partie.

Sources

https://www.bbc.com/news/world-us-canada-47232348

https://www.thestar.com/politics/federal/2019/03/13/snc-lavalin-affair-we-answer-your-most-pressing-questions.html

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/19/tout-comprendre-au-scandale-qui-ebranle-le-premier-ministre-canadien-justin-trudeau_5438403_3210.html?xtmc=snc_lavalin&xtcr=1

https://www.canada.ca/fr/ministere-justice/nouvelles/2018/03/ententes-de-reparation-pour-remedier-au-crime-dentreprise.html

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Thibault FARAUS

Thibault FARAUS est étudiant en 3ème année à Sciences Po Lyon et actuellement en échange à l’Université de Vancouver. Passionné par les questions diplomatiques et la marche du monde à l’heure de la mondialisation. Rédacteur aux Yeux du Monde depuis août 2018.

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